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L'écrivain et journaliste, Mustapha BENFODIL: Chut! ça ne "presse" pas... "Dilem président"

écrivain et journaliste, Mustapha BENFODIL"Dilem président . Biographie d'un émeutier", est le nom du dernier livre de l’écrivain et journaliste, Mustapha BENFODIL . Cet OVNI littéraire est reconnu par ses pairs, et connu pour son style de plume «décalé». Ses écrits sont accessibles à tous, grâce à une littérature moderne d’une toute autre dimension . Son nouveau livre journalistique provocateur mais réaliste a fait bien des émules. A la veille des élections présidentielles, il nous en parle sans langue de bois. Rencontre.

_.On vous connaît pour votre "banalité décalée" dans tous ses états, pouvez- vous nous définir vos écrits en quelques mots ?

Je ne sais pas si le mot "banalité" est celui qui sied le mieux à ce que je fais. Tout à l'heure, je parlais de "matériaux" puisés dans les langues qui constituent notre quotidienneté. Je parlerais plutôt de complexité dans la structure. En deux mots, je m'inscris dans ce que j'appellerais de la "pop'littérature", autrement dit une écriture éclatée qui puise dans la langue littéraire classique mais aussi dans les langues modernes, les dialectes populaires, la langue des médias, de l'Internet, le langage sms, le rap, le rai, la pop, les feuilletons télé, la BD, tout. Mon écriture puise dans un matériau hétéroclite, et  s'exprime par un style hybride qui est une mixture de tous ces langages.

Depuis que vous avez reçu le prix du meilleur roman, votre vie a -t-elle changée?

Oui. Ce qui a changé avec ce prix,  c'est que j'ai acquis une certaine "respectabilité" romanesque. Mon premier roman "Zarta" était passé totalement inaperçu et « Les Bavardages du Seul » aussi. Il faut dire que ce dernier est un OVNI littéraire de 500 pages, et très peu de gens l'avaient lu. Il a fallu une année pour qu'on le découvre, et le jury qui l'a primé l'a ainsi sorti de l'anonymat dans lequel il allait fatalement échouer comme le précédent. Depuis, je suis régulièrement cité en Algérie dans la vague de la "nouvelle littérature algérienne", voilà, sans plus.

Peut-on dire que vous êtes passé d’un esprit de fatalité à celui de reconnaissance? Que  vous avez en quelque sorte franchi le miroir?

Oui, d'une certaine manière. Aujourd'hui je suis  reconnu, même si mon dernier roman a refroidi les gens qui se disaient avec Les Bavardages du seul que j'étais "un écrivain qui promet". Avec ce dernier, que certains ont assimilé à un roman pornographique, j'en ai déçu plus d'un. Je dois donc tout recommencer à zéro.

Avez-vous le sentiment que vos écrits sont passés d’un registre à un autre ?

Mon écriture se déploie sur plusieurs genres, plusieurs formes et plusieurs registres. Je pense que de même que la vie est riche et complexe et qu'elle se déploie sur toute une palette de nuances, la littérature aussi devrait s'étaler sur tout un panel de couleurs.

Comment passez-vous de la fine frontière entre ce double « je », entre l'écrivain et le journaliste?

Ceux sont deux modes de vie, d'être et d'écriture tout à fait distincts. Certes, ils peuvent se jouer de mon  « Moi » comme des vases communicants. Mais généralement, leur cohabitation est assez pacifique. La chose qu'ils se disputent le plus âprement, au-delà de mon verbe et de ma personnalité, c'est le temps. J'essaie donc de m'organiser comme le ferait un mari polygame s'essayant au jeu de la justice entre deux épouses réclamant ses attentions. Avec beaucoup d'approximations, donc.

Comment faîtes-vous la différence entre ces deux rôles, qui sont les vôtres, à travers votre écriture ?

Sur le plan psychologique et existentiel, disons pour aller vite que mon rapport au journalisme participe de l'hyper-réalité, d'une présence au monde, d'un engagement au premier degré dans la société, dans les urgences du moment, avec parfois une nette dimension militante, et avec, à la clé, une écriture "premier degré". Tant dis que l'écrivain, lui, s'amuse à vampiriser ce matériau livré par le journaliste pour aussitôt le sublimer, le transgresser, le subvertir.

Votre dernier livre au sujet de Dilem, pouvez-vous nous en parler en quelques mots?

Le livre s'intitule Dilem président . Biographie d'un émeutier. Le livre a été au départ une commande du journal Liberté où travaille Dilem. C'était suite à une assignation en justice du plus célèbre caricaturiste du pays. On voulait lui rendre hommage, lui qui a beaucoup fait pour la liberté d'expression. Par la suite, le livre s'est transformé en hymne à la caricature politique. Par ailleurs, je voulais à travers ce livre parler de ce qu'on appelle "la génération d'octobre 88" allusion aux événements du 5 octobre 88 qui ont permis d'enclencher l'expérience démocratique en Algérie, et dont Dilem est l'une des figures de proue. Je voulais enfin rendre hommage à travers ce livre à tous les artistes, intellectuels et journalistes assassinés dans les années 1990, et que Ali Dilem a connu intimement: Djaout, Mekbel, Asselah, Alloula, Matoub, et bien d'autres.

Ce livre est donc une sorte de réponse à cette génération de  88, et ce, à travers un homme qui  a connu les visages les plus emblématiques, c’est bien cela?

Tout à fait: c'est pour d'abord parler d'un art populaire qui est le dessin de presse, parler d'un artiste qui est peut-être le plus célèbre et le plus adulé du pays, et puis témoigner effectivement d'un moment historique que "les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître" comme dit Aznavour.

Quel lien entre la génération de 88 et celle d'aujourd'hui?

Disons que 88 a été le moment où c'est pour la première fois depuis l'indépendance que le peuple s'est insurgé contre le régime. Aujourd'hui, sous Bouteflika, on assiste à une régression terrible sur le plan des libertés, et tous les acquis d'octobre 88 (liberté de la presse, liberté politique, syndicale, associative) sont menacées. Dernier coup de force en date: Bouteflika vient d'amender la Constitution de façon à s'assurer la présidence à vie. Ce que nous disons est que, de même qu'Octobre 88 a été possible, d'autres révoltes populaires sont possibles et nous devons les mener jusqu'à ce que démocratie s'ensuive.

Dans le titre  « Dilem Président », pourquoi avoir associé Dilem et le président, dans un seul titre comme pour nommer une seule et unique personne,  à travers pourtant deux termes antagonistes?

C'est une parodie du titre d'un album de dessins de Dilem intitulé "Boutef Président" , qui est sorti en 2000.

Je pense que c’est la première fois dans l’un de vos livres, où le journaliste et l écrivain ne cohabitent plus mais bien au-delà collaborent , n’est-ce pas?

Tout à fait ! C'est le cas de le dire: j'ai apporté la partie "investigation" du journaliste et y ai ajouté l'ampleur du geste scriptural de l'écrivain. Simplement, pour celui qui se donnera la peine de lire mon livre, il se rendra compte qu'il existe un vrai travail documentaire et d'investigation qui sous-tend le livre, et qui va au-delà de l'aspect purement polémique, pamphlétaire ou événementiel et qu'il questionne tant le dessin de presse que les artistes qui ont gravité autour de cette génération.

Vous avez touché apparemment là où ça fait mal, et  votre livre a été censuré, expliquez  nous les raisons de cette censure?

Mon livre n'a pas été censuré. Il faut noter que pour qu'un livre soit censuré, il faut qu'il y ait intervention des autorités pour l'empêcher comme ce fut le cas avec le dernier livre de Mohamed Benchicou:  Journal d'un homme libre, qui a été saisi à l'imprimerie Mauguin. Dans mon cas, les éditeurs ont boudé le manuscrit dès le départ par crainte d'un procès ou de représailles du régime. Donc, on n'est pas arrivé à l'étape "fabrication" ou "impression" qui déclencherait l'opération de censure.

Oui, mais cela reste une forme de "censure" indirecte, dans le sens où l’on tue les mots avant de les entendre, n 'est ce pas?

Exact!

Et quelle a été votre réaction par rapport à tout cela ?

J’ai dû me résoudre à "publier" le livre sur Internet et ce fut une expérience plutôt concluante. le livre a été massivement téléchargé et ce fut un buzz.

Avoir diffusé votre livre sur la toile d’internet, était-ce plus par envie, par défi ou tout simplement par nécessité ?

C'était par une nécessité de calendrier: je tenais à le diffuser peu avant la commémoration du 20ème anniversaire des événements du 5 octobre. Après, le soir du 5 octobre, j'ai organisé un grand débat sur Internet avec mes lecteurs.
Ce fut très riche, très vif et très encourageant.

Vous  parliez de réactions massives : quelles ont été en général ces réactions ? et  dans quel(s)sens allaient-elles?

La grande majorité étaient des réactions de soutien, d'indignation, d'admiration aussi pour la personne de Dilem.

A travers ce livre avez-vous cherché une certaine reconnaissance légitime de l’autre, du nom, de Dilem ?

Non, je recherchais à susciter la rencontre entre deux sensibilités, deux subjectivités et deux imaginaires, entre un caricaturiste et un auteur.

Que représente , pour vous,  Dilem , dans la société algérienne?

C'est d'abord un artiste talentueux, ensuite c'est quelqu'un qui a repoussé les limites de l'interdit à lui tout seul en brisant tous les tabous.

Pensez- vous que vous avez  réussi à faire ressortir de ses oeuvres des possibilités que lui même méconnaissait?

Je l'ignore. Il faudrait lui poser la question. je ne sais même pas s'il a lu le livre, je ne suis pas en contact avec lui à vrai dire. Ali est quelqu'un de très secret et je respecte sa discrétion.

Cela veut-t-il dire que la rencontre Dilem et Benfodil, n’a pas encore eu lieu?

Elle a eu lieu par le passé mais je ne suis pas certain qu'elle va pouvoir se reproduire.

Peut être se fera-t-elle un jour, pourquoi tant de pessimisme?

Parce que  Ali est sur une autre planète.

Propos recueillis par Lamia KAGHAT

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